note de l'éditeur : Le capitaine de reixach, abattu en mai 40 par un parachutiste allemand, a-t-il délibérément cherché cette mort ? un de ses cousins, Georges, simple cavalier dans le même régiment, cherche à découvrir la vérité.
Aidé de blum, prisonnier dans le même camp, il interroge leur compagnon Iglésia qui fut jadis jockey de l'écurie Reixach. après la guerre, il finit par retrouver Corinne, la jeune veuve du capitaine...
mon avis : La Route des Flandres est sans doute le roman le plus difficile qu'il m'ait été donné de lire. Je cherche dans mes souvenirs de lecteur et je ne vois aucun autre où j'ai peiné à ce point. Deux raisons essentielles à cela :
un : le style très heurté, avec peu de ponctuation et une utilisation pléthorique du participe présent et surtout l'impression que les mots s'entrechoquent, se heurtent, s'anéantissent plutôt que de se suivre harmonieusement.
deux : la conduite du récit. pas vraiment de plan structuré mais une succession d'images désordonnées comme sorties d'un rêve absurde, d'un cauchemar plutôt parce qu'il s'agit (à ce que j'ai cru comprendre) de l'histoire de 3 soldats errant après la débâcle de 1940. Alors, à force d'inattention, j'ai failli plusieurs fois perdre le fil et d'ailleurs je l'ai perdu des pages entières avant de me ressaisir à la faveur de passages un peu plus explicites, mais le soucis c'est que l'auteur semble prendre un malin plaisir à dérouter le lecteur en brouillant les cartes et par exemple en passant d'une scène à l'autre dans la même phrase, voire même d'un narrateur à l'autre (le je de la fin d'une phrase n'est pas forcément le même je qu'au début..). Alors est-ce que j'ai aimé ou pas ce roman. La réponse est plutôt oui. Je pense que ça vaut la peine de le lire, qu'il faut prendre ça comme un challenge et puis accepter de ne pas tout saisir, de mettre l'intrigue au second plan pour se laisser emporter par l'écriture, qui est, comme je l'ai lu je ne sais plus où, le personnage principal de ce roman. Et quelques passages sont à ce point sublimes qu'ils valent à eux seul l'ingurgitation des 300 pages.
J'ai choisi 3 extraits . Avec, pour commencer, la description p234 (collection "double" éditions de minuit) du système d'ouverture d'un poulailler. savoureux.
...puis, plus à gauche, jaillissant juste de l'arête du dièdre comme d'une fissure entre la terre et le mur, il y avait une de ces plantes sauvages : une touffe, ou plutôt une corolle de feuilles réparties en couronne (comme un jet d'eau retombant), déchiquetées, dentelées et hérissées (comme ces anciennes armes ou harpons), vert foncé, râpeuses, puis, après cela, encore la tige - celle-ci légèrement inclinée vers la droite - d'une de ces mêmes hautes plantes, puis fixé au mur par un (sans doute y en avait-il encore un autre plus haut, mais il ne pouvait pas non plus le voir) tenon de fer, le montant ou plutôt le chevron de bois sur lequel était articulée une porte de poulailler : le tenon complètement rouillé, scellé dans le mur de briques, le ciment autour de l'épaisse lame de fer formant une collerette crémeuse dans laquelle on pouvait encore voir les traces de la truelle qui en lissant le mortier y avait laissé des empreintes dessinées par une bavure (léger bourgeonnement grumeleux de la matière pressée) en relief, le chevron - le montant de la porte, comme d'ailleurs son châssis lui-même - décoloré par la pluie, grisâtre, et, pour ainsi dire feuilleté, comme de la cendre de cigare, le châssis, lui, à moitié déglingué une des deux chevilles de bois qui tenaient l'angle inférieur presque sortie de son logement, le tout ayant pris du jeu, la traverse inférieure faisant donc avec le montant vertical un angle non pas droit mais légèrement obtus de sorte qu'elle devait racler le sol quand on ouvrait la porte...
(j'ai mis 3 petits points au début et à la fin car je n'ai trouvé ni le début de la phrase (qui devait se trouver sans doute quelques pages avant) ni la fin. Et puis un autre extrait, un brin baroque, où il est question de l'envol d'un cavalier (p149-150) (idem pour les ...)
...je vis Wack qui venait de me dépasser penché sur l'encolure le visage tourné vers moi la bouche ouverte lui aussi essayant sans doute de me crier quelque chose qu'il n'avait pas assez d'air pour faire entendre et tout à coup soulevé de sa selle comme si un crochet une main invisible l'avait attrapé par le col de son manteau et s'élevant lentement c'est à dire à peu près immobile par rapport à (c'est à dire animé à peu près de la même vitesse que) son cheval qui continuait à galoper et moi courant toujours quoi qu'un peu moins vite de sorte queWack son cheval et moi-même formions un groupe d'objets entre lesquels les distances ne se modifiaient que lentement lui se trouvant à présent exactement au-dessus du cheval dont il venait d'être enlevé arraché s'élevant lentement dans les airs les jambes toujours écartées en arc de cercle comme s'il continuait à chevaucher quelque Pégase invisible qui d'une ruade l'eût fait basculer en avant exécutant donc au ralenti et pour ainsi dire sur place...
et p285, on croit rêver, on croit pas, on rêve (et je signale au passage que pour cet extrait comme pour les deux précédents, je respecte scrupuleusement syntaxe et ponctuation -je dis ça parce que ça peut surprendre)
mais comment savoir, comment savoir ? les quatre cavaliers et les cinq chevaux somnambuliques et non pas avançant mais levant et reposant les pieds sur place pratiquement immobiles sur la route, la carte la vaste surface de la terre les prés les bois se déplaçant lentement sous et autour d'eux les positions respectives des haies des bouquets d'arbres des maisons se modifiant insensiblement, les quatre hommes reliés entre eux par un invisible et complexe réseau de forces d'impulsions d'attractions ou de répulsions s'entrecroisant et se combinant pour former pour ainsi dire par leurs résultantes le polygone de sustentation du groupe se déformant lui-même sans cesse du fait des incessantes modifications provoquées par des accidents internes ou externes
lecture du 05.04 au 08.04
note : 4/5
à venir : les gens d'en face, Georges Simenon